sláinte mhaith (zelda)

Les pneus crissaient sur l'asphalte alors qu'il chevauchait la harley jusqu'au parking du pub où les tristes du soir venaient s'échouer autour de bières ambrées. Vingt-heures, loin du garage crasseux où il avait trimé toute la journée pour quelques billets chiffonnés. Le barbu glissa une clope entre ses lippes, le casque qu'il rangeait sous le siège avant de saluer du regards ces gens avec qui il coexistait depuis une trentaine d'années. Toujours les mêmes gueules, les mêmes sourires, les mêmes voix. Une routine un brin gaillarde, mais rassurante. Il aimait ses repères, se sentant chez lui dans n'importe quel coin de cette cité où les cabossés étaient les rois de la soirée. Des rires s'échappaient déjà du pub alors qu'il glissait son regard cuivré sur sa montre. Quelques SMS échangés et le programme c'était dessiné sous les plans de la beauté qui l'accompagnerait ce soir. La cigarette qu'il coinçait entre ses doigts pour en savourer les dernières bouffées cancérigènes avant d'écraser le mégot sous sa bottine. Le géant poussa les portes et reçu en pleine gueule la musique celtique assourdissante et les esclaffes de joyeux diables alcoolisés. Les babines amusées alors qu'il retirait sa veste en jean, vêtu d'une chemise cintré à carreaux noir et grise et un jean slim de la même teinte que le temps avait usé. Il chercha du regard Zelda pour en conclure rapidement qu'il était le premier arrivé. Placide comme toujours, il serrait quelques mains tout en ricochant de joues en joues pour saluer les demoiselles qu'il connaissait. Glenn était un habitué quasi journalier, appréciant après son labeur venir siroter quelques binouses en toute impunité. Pas de mégères pour lui gueuler dessus quand il lui arrive de rentrer bourrer, juste le confort de son plumard et de sa solitude enténébrée. Mains dans les poches, il traversa la salle pour rejoindre un petit box au fond du pub. Il tomba lourdement sur la banquette au cuir vieilli, ses longues jambes étendues sous la table, les mains derrière la tête en observant sans vraiment regarder le match de rugby que la télévision était en train de cracher. Les rires et le punk celtique couvraient les sons de l'écran plasma, étouffant un bâillement dans son poing tout en jetant une œillade à l'entrée.

La joliesse finit par arriver et le barbu l'accueillit d'un signe de la main pour l'inviter à le rejoindre. Galanterie oblige, il se leva pour saluer la trentenaire et l'embrasser sur la joue. Une fois assise, il se posa en face d'elle en appelant la serveuse du regard. « Tu as l'air en forme. » L'Irish lui offrit un léger sourire, n'étant pas le mec le plus expansif de l’univers pour ensuite commander une guinness à la petite serveuse rousse à qui on donnerait le bon dieu sans confession. Penaud, il laissa Zelda choisir sa boisson avant de tendre un billet à l'employée — hors de question que la tatouée allonge son blé. « Alors ? Quoi de neuf princesse ? » Toujours ce fin de sourire, l'aimant appeler ainsi au vu des goûts cinématographiques de la romancière. Un paradoxe qui l'avait toujours amusé au vu de ce qu'elle écrivait et de ce que elle aimait regarder. « J'annonce que je compte oublier cette journée de merde et picoler comme un connard. » Un clin d’œil avant d'aider la serveuse un peu maladroite à réceptionner les commandes sur la table. Il leva ensuite sa pinte pour la faire tinter contre la boisson de la blonde pour trinquer. « Sláinte ! » Le géant vida bien de moitié son verre, la barbe pleine de mousse qu'il venait essuyer dans sa manche, détendu et en bonne compagnie.

Les rétines accrochaient les prunelles de sa compagne du soir, la choppe aux bords des babines assoiffées. En bon Irlandais qu'il était, il ne pouvait pas refuser de picoler un soir de semaine, encore plus quand il était si bien escorté. Le géant préférait néanmoins se balader dans la campagne irish, avec son chien et un pack de six. La trentaine l'avait sans doute un peu assagi, loin des conneries que les deux celtes avaient pu faire dans leurs jeunes années. Détendu, c'était avec une satisfaction non dissimulée qu'il partageait cette soirée avec Zelda. Après avoir trinqué, le duo commença à s'enfoncer dans les banalités d'usages, plus le genre de mec à écouter qu'à parler, mais avec elle, il n'avait pas peur de se confier. Après tout, ils se connaissent depuis presque toujours donc cela facilitait fortement les échanges. Bercé par la musique et la voix de la Murphy, le barbu rangea de nouveau ses mains derrière sa tête sans la dévisager alors qu'il écoutait la romancière lui narrer les petits détails de sa journée. Un fin de sourire goguenard en l'imaginant procrastiner dans le fond de son canapé devant un énième disney. Le barbu secoua négativement la tête pour lui montrer qu'il n'avait pas spécialement attendu. De toute façon cela ne le dérangeait pas et étrangement — c'était beaucoup moins gênant dans un pub où les minutes s'écoulaient moins vite que les pintes éclaboussés sur le comptoir boisé. « Je venais d'arriver t'inquiètes. » Une nouvelle gorgée pour hydrater délicieusement sa tranchée de bière ambrée, sa préférée. Une œillade vers les autres clients en train de naïvement picoler pour oublier les problèmes de cette société. Beaucoup de paumés, d'écumeurs fou venu jeter l'ancre de la délivrance parmi les échoués. La voix de Zelda le ramena rapidement dans la conversation, l'écoutant parler de ses problèmes d'inspiration. Une mine désolée pour son amie, sachant à quel point cela pouvait être emmerdant. Après tout cela lui arrivait de composer pour son groupe, mais le plus souvent il se heurtait à l'ébranlement du néant, les verbes dissipés. « Ta muse est peut-être blasée, en congé ou porteuse d'une gastro la conne. » Un fin de sourire amusé, presque fier de sa connerie alors qu'il reprenait sur un ton plus sérieux. « Te fous pas trop la pression, suis certain que ça va revenir ! On attends tous la suite ! » Un clin d’œil accompagné d'une énième lampée. « Okai ça fou la pression de dire ça, je ferme ma gueule ! Non mais sans dec', faut pas forcer des fois et laisser faire les choses. » Pas vraiment le meilleur pour donner des conseils, il restait néanmoins solidaire de sa pote à qui il adressait un signe de la tête confiant. « La routine pour moi, j'ai bossé et suis en train de retaper ma cuisine que j'utilise jamais. La base non ? » Bricoleur dans l'âme, il aimait avoir les mains sales et bidouiller tout et n'importe quoi pour lui changer un peu des moteurs crasseux.

Le mécano se gratta la barbe alors qu'il réfléchissait quoi répondre à la belle. Comme elle l'avait parfaitement signalé, pas besoin de raison pour picoler. Pourtant, il arrivait à un tournent de son existence où il se faisait clairement chier. Son travail ne le faisait pas vibrer et côté sentimental c'était un véritable merdier. Un soupire alors qu'il haussait les épaules, zieutant son verre qui se vidait dangereusement. « Tu sais c'est une de ces matinées qui commencent mal car tu te lèves et tu marches dans la pisse de ton clebs, tu reçois des factures et t'enchaînes un convoi de connards au taff toute la journée. M'enfin suis pas là pour me plaindre ! Je compte t'humilier aux fléchettes et te faire danser si la bière ne nous couche pas avant. » Haussement de sourcils comique pour la provoquer alors qu'il tapotait des doigts sur la table, en rythme avec les percussions de la chanson en train de passer. « T'as une idée de quoi va parler ton prochain roman ou t'as pas le droit de me spoiler ? » Intéressé, il avait certainement été l'un des premiers à courir en librairie acheter les écrits de son amie qu'il avait dévoré en une nuit. Un genre particulier qu'il aimait, l'horreur étant sans aucun doute plus à même de frapper la plèbe que l'amour qui se faisait bien trop souvent désirer — putain de réalité.